« Le bal de la mi-carême – le « bal des folles » pour la bourgeoisie parisienne – est l’événement du mois de mars – l’événement de l’année, d’ailleurs. Durant les semaines qui précèdent, rien d’autre n’occupe les esprits. […] Loin d’exciter les nerfs fragiles et instables, l’humeur n’est jamais aussi apaisée qu’à cette période. Derrière ces murs d’ennui, il y a enfin de quoi distraire l’esprit. »
le bal des folles | Victoria mas | Albin michel
Paris, 1885. Geneviève travaille comme infirmière à la Salpêtrière, un hôpital psychiatrique, depuis une vingtaine d’années. Non-mariée, elle consacre sa vie aux aliénées de la Salpêtrière.
Son intérêt pour la médecine lui vient de son père, lui-même médecin.
« Son œil intelligent pouvait diagnostiquer précisément n’importe quelle affliction, souvent même avant son père, si bien que les patients finissaient par la réclamer elle à la place du patriarche. Elle avait lu et assimilé tous les livres de médecine à disposition dans leur maison, et c’est en eux qu’elle avait finalement trouvé sa foi. Elle croyait en la médecine. Elle adhérait à la science. Voilà où résidait sa conviction. Elle n’avait aucun doute, elle serait infirmière, mais pas en Auvergne : elle rêvait de Paris. C’était là que les grands médecins exerçaient, là que la science avançait, là où il lui fallait être. »
LE BAL DES FOLLES | VICTORIA MAS | ALBIN MICHEL
Donc elle était douée en médecine, les patients la réclamaient, elle était en mesure de comprendre les livres de médecine à sa disposition, mais elle ne pouvait pas devenir médecin. Au 19e siècle, une femme devenait infirmière, pas médecin.
« Elle admirait les médecins, plus qu’elle n’avait jamais admiré aucun saint. Elle avait trouvé sa place auprès d’eux, une place modeste, en retrait, mais indispensable néanmoins. Son travail, sa précision, son intelligence lui avaient gagné l’estime de ces hommes. Peu à peu, sa réputation s’était faite au sein de la Salpêtrière. »
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Sage, elle accepte sa situation. Elle est fière de travailler avec le neurologue Jean-Martin Charcot. Ce médecin tente de faire avancer la science, entre autres en utilisant l’hypnose. Chaque vendredi, il fait une démonstration publique sur une aliénée et c’est à Geneviève que revient la responsabilité de préparer convenablement la patiente.
« Les cours publics du vendredi volaient la vedette aux pièces de boulevard, les internées étaient les nouvelles actrices de Paris, on citait les noms d’Augustine et de Blanche Wittman avec une curiosité parfois moqueuse, parfois charnelle. Car les folles pouvaient désormais susciter le désir. Leur attrait était paradoxal, elles soulevaient les craintes et les fantasmes, l’horreur et la sensualité. Lorsque, sous hypnose, une aliénée plongeait en crise d’hystérie devant un auditoire muet, on avait parfois moins l’impression d’observer un dysfonctionnement nerveux qu’une danse érotique désespérée. Les folles n’effrayaient plus, elles fascinaient. »
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C’est de cet intérêt qu’est née l’idée d’organiser un événement pour la bourgeoisie parisienne : le bal de mi-carême, surnommé le bal des folles. Le temps d’une soirée, les bourgeois et les journalistes pouvaient côtoyer les aliénées, et avec un peu de chance, ils pouvaient les voir en crise. De quoi alimenter les discussions pendant longtemps!
« Les femmes de la Salpêtrière n’étaient désormais plus des pestiférées dont on cherchait à cacher l’existence, mais des sujets de divertissement que l’on exposait en pleine lumière et sans remords. »
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Donc la vie suit son cours pour Geneviève, du moins jusqu’à l’arrivée d’Eugénie Cléry, 19 ans, la fille d’un notaire de Paris.
« Ce qui surprend Geneviève dans ce cas particulier, c’est le milieu social de l’homme qui lui fait face. Habituellement, les bourgeois ont en horreur l’internement de leur épouse ou de leur fille. Non pas parce qu’ils ont un sens de l’éthique supérieur et qu’ils jugent immoral d’enfermer leur femme contre leur volonté. Mais un internement qui s’ébruiterait dans les salons ternirait à jamais la réputation du patriarche. Dès la moindre manifestation de désordre mental sous les lustres en cristal, les bourgeoises sont rapidement soignées et conduites dans une chambre, sous clef. Qu’un notaire vienne à la Salpêtrière faire interner sa fille est une démarche atypique. »
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Cette Eugénie, dont Geneviève doit s’occuper dans ses fonctions, la fait douter de ses convictions. Elle tente de résister, parce que n’est qu’une folle, mais elle doute de plus en plus. Et si elle se met à douter, est-ce que ça fait d’elle une folle?
« La maladie déshumanise ; elle fait de ces femmes de marionnettes à la merci de symptômes grotesques, des poupées molles entre les mains de médecins qui les manipulent et les examinent sous tous les plis de leur peau, des bêtes curieuses qui ne suscitent qu’un intérêt clinique. Elles ne sont plus des épouses, des mères ou des adolescentes, elles ne sont pas des femmes qu’on regarde ou qu’on considère, elles ne seront jamais des femmes qu’on désire ou qu’on aime : elles sont des malades. Des folles. Des ratées. Et son travail consiste au mieux à les soigner, au pire à les maintenir internées dans des conditions décentes. »
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Je ne vous en dis pas plus, parce que ça serait dommage que je ne vous laisse pas découvrir ce que Geneviève va vivre pendant le printemps 1885.
Je vous ai principalement parlé de Geneviève et d’Eugénie, mais il y a d’autres personnages intéressants dans ce roman, comme Thérèse. Cette dernière est internée à la Salpêtrière depuis 20 ans et elle ne souhaite pas en sortir. Cet endroit est son refuge, comme elle l’explique dans la citation légèrement plus bas.
« Tu vois, j’me suis jamais sentie aussi tranquille qu’entourée de folles. Les hommes m’ont maltraitée. Mon corps est cabossé. J’boîte, ma jambe m’fait mal. J’ai des douleurs à crever chaque fois qu’je pisse. J’ai une cicatrice qui m’traverse tout le sein gauche, on a voulu me l’couper au couteau. Ici, j’suis protégée. On est entre femmes. J’tricote des châles pour les filles. J’me sens bien. Non, dehors, plus jamais. Tant qu’les hommes auront une queue, tout l’mal sur terre continuera d’exister. »
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Cet extrait de dialogue m’amène à quelque chose que j’ai beaucoup apprécié dans ma lecture : les dialogues. Les échanges entre les personnages sont intéressants, en plus d’être écrits comme ils sont dits. Ça rend le tout plus réaliste.
C’est un peu beaucoup révoltant comme lecture parce que la place des femmes est de mettre en valeur les hommes et de ne pas s’affirmer.
De plus, plusieurs des femmes qui sont internées à la Salpêtrière y sont parce que les hommes qui les entourent peuvent les faire interner et les renier. Parce que oui, les femmes qui vivent à la Salpêtrière n’existent plus pour leurs proches.
C’est aussi difficile de lire sur les traitements que subissaient les femmes internées à la Salpêtrière, comme les compresseurs ovariens et les fers chauds dans le vagin. Des traitements qui visaient à faire avancer la science au détriment des femmes.
À lire parce que vous voulez savoir ce qu’il va arriver à Geneviève et à Eugénie! Et à lire parce que les bals des folles de la Salpêtrière ont vraiment existé…
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Libraire, chroniqueuse culturelle et animatrice, ma vie tourne pas mal autour des livres!
(Ma vie tourne aussi pas mal autour de la radio. La preuve : je suis diplômée en animation radiophonique et je veux en vivre.)
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Un formidable roman qui en a ravi plus d’un, comme moi d’ailleurs. Belle découverte pour un premier roman et de très beaux portraits de femmes qui subissaient la domination masculine sans vraiment pouvoir s’en dégager. Merci pour ce partage