Matthieu Simard nous offre un roman qui possède une trame triste, mais qui est amenée d’une façon lumineuse et drôle. Une des sources d’humour de ce roman est la mauvaise foi de Jeanne, le personnage principal.

« J’ai garé ma Ford Fiasco à trois rues de la maison de Skip, même s’il y avait deux places libres juste devant. Quand la fête sera terminée et que je sortirai en même temps que les autres, je leur dirai que je suis stationnée trois rues plus loin, je boiterai un peu pour le spectacle et ils se sentiront coupables de s’être moqués de moi plus tôt. »

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Jeanne, une dynamique et arthritique femme de 81 ans, vit sans son Suzor depuis environ 40 ans, soit depuis le moment où il a quitté la maison. Orgueilleuse, Jeanne s’est promis de ne jamais le chercher. Elle envisage de rompre sa promesse lorsque Bastien, 4 ans, lui annonce que Suzor souffre d’Alzheimer. 40 ans plus tard, l’a-t-il oubliée? Se souvient-il de ce qu’ils ont vécu en URSS en 1959? Se souvient-il de leur amour? Est-il trop tard pour le retrouver?

« Quand Suzor est parti il y a quarante ans pour ne jamais revenir, je me suis promis de l’oublier, parce que le souvenir de lui l’autorisait à exister et que je ne pouvais pas concevoir qu’un homme qui existe ait pu me faire aussi mal. Pendant les semaines qui ont suivi, je me suis employée à brûler tout ce qui pouvait me faire penser à lui. Photos, lettres d’amour, chapeaux, vêtements. La moitié de notre chambre. À la fin, il ne restait que le garde-robe de la chambre d’amis, qu’il avait rempli au fil des ans de choses inutiles. Je n’avais plus la force de le vider, j’en ai vissé la porte contre le cadre. »

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De son passé avec Suzor, elle a conservé la maison et un cahier marron, ses écrivements, dans lequel Jeanne s’adresse à lui.

« Sur la table basse du salon, je dépose le carnet marron que je traîne avec moi depuis quarante ans. Dans ce carnet, sur des centaines de pages noircies au fil des ans d’encre bleue, noire ou rouge, j’ai écrit tous mes souvenirs à mesure qu’ils m’apparaissaient, pour les mettre de côté une fois pour toutes. Lorsqu’un détail me faisait penser à Suzor, je l’inscrivais au carnet, avec le plus de souci possible, dans le but de ne plus jamais y penser par la suite. »

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Fourmi, une ancienne voisine de Jeanne, l’accompagnera dans sa quête pour retrouver son Suzor. J’ai beaucoup aimé lire sur cette amitié intergénérationnelle entre une femme de 81 ans et une adolescente invisible aux yeux de ses parents.

« En colère contre l’univers, elle sait depuis longtemps qu’elle aussi est différente. Déjà, les autres ont des parents qui s’occupent d’eux. Ceux de Fourmi le font à microdoses, famille homéoparentale. C’est comme ça depuis qu’elle est toute petite. Des parents souvent absents et, lorsqu’ils étaient présents, ils n’en avaient que pour Charlot, le beau grand fort qui jouait du piano les yeux fermés et au baseball les lundis soir. Fourmi a grandi à l’ombre, sans eau, sans qu’on la change de pot. Elle avait toujours l’impression de déranger ses parents, surtout pendant la saison des impôts. Elle passait donc le plus clair de son temps enfermée dans sa chambre, à idolâtrer son frère et à dessiner des créatures squameuses et des chevaux sans tête.

L’école, au début, a été une félicité pour elle. C’était l’occasion de rencontrer des enfants aussi différents qu’elle, croyait-elle. Mais elle a vite été déçue. De Carl qui comptait jusqu’à dix avec fierté à Gisèle recouverte de paillettes qui chantait sans cesse des chansons populaires qu’elle ne connaissait pas, Fourmi ne trouvait pas dans ses classes le moindre enfant partageant son esprit. Alors elle s’enfermait chez elle, tout près mais si loin de ses parents. Et Charlot maintenant parti, elle considérait faire la même chose : s’enfuir le plus loin possible, à la guerre qui fait des morts ou au pôle Nord, ou dans les bras du premier venu. Pour l’instant, j’étais ce premier venu, version féminine et âgée. »

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Au fil du roman, on apprend ce qu’il s’est passé en URSS et on découvre à quel point Jeanne et Suzor formaient un couple amoureux et fusionnel. Et on a la preuve, encore une fois, que les choses sont rarement noires ou blanches.

« Quand nous sommes rentrés d’URSS en 1959, j’ai bien vu que Suzor ne s’en remettrait pas. Nous y avons vécu des aventures traumatisantes, tous les deux, mais pour Suzor il y avait encore plus et, moi, j’étais beaucoup trop jeune pour m’occuper seule des mille miettes qu’il était devenu. À l’époque, je n’avais jamais entendu parler du syndrome de stress post-traumatique, alors j’ai fait ce que je savais faire : j’ai joué le rôle de celle qui ne souffrait pas. »

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J’aime la fin du roman (et j’aime l’ensemble de l’œuvre). Ça aurait été facile de proposer une fin décevante. J’aime quand on ne va pas vers la facilité.

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Julie Collin
Fondatrice, blogueuse en chef et animatrice de l'émission

Libraire, chroniqueuse culturelle et animatrice, ma vie tourne pas mal autour des livres!

(Ma vie tourne aussi pas mal autour de la radio. La preuve : je suis diplômée en animation radiophonique et je veux en vivre.)

Je lis de tout, et partout. Sur papier et sur ma liseuse numérique.

Je parle de mes lectures simplement, comme j'en parle avec mes amis devant un verre ou une tasse. Sentez-vous bien à l'aise de vous préparer un breuvage. 😉

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